A l’occasion de la déclaration conciliaire Nostra Aetate, le P. Michel Remaud, fmi, invité, le 11 février 2016, à la Maison diocésaine de La Roche sur Yon, par le groupe Eglise et société et l’Amitié Judéo-chrétienne de Vendée, a rappelé le lien étroit qui unit juifs et chrétiens. Le P. Michel Remaud est responsable de l’Institut Albert Decourtray, Institut français d’études juives à Jérusalem. Voici une présentation résumée de son intervention parue dans la revue En Famille de mars 2016
Pendant longtemps et jusqu’à notre époque, l’image des juifs qui était répandue dans l’opinion chrétienne, et même entretenue par la prédication, était particulièrement mauvaise : le peuple juif était coupable de la mort de Jésus ! Depuis une cinquantaine d’années, l’Église a entrepris de corriger profondément sur ce point son enseignement officiel. Une première initiative dans ce sens était venue de Jean XXIII, qui avait modifié la prière du Vendredi Saint en supprimant dans l’oraison pour les juifs le qualificatif de « perfides ».
En 1965, le concile a promulgué la déclaration Nostra ætate (A notre époque), le premier document officiel dans l’histoire de l’Église à parler des juifs et du judaïsme avec bienveillance et à condamner l’usage des clichés auxquels l’enseignement chrétien avait généralement réduit la religion d’Israël.
Si l’Église a procédé sur ce point à un changement aussi radical, c’est parce que le génocide nazi avait conduit les chrétiens d’Europe à un profond examen de conscience. Comment la plus grande tentative d’extermination qui se soit jamais abattue sur le peuple juif avait pu se produire dans une Europe façonnée par des siècles de christianisme ? La résurgence brutale du paganisme que constituait l’idéologie nazie avait-elle trouvé des complicités, au moins passives, dans des consciences chrétiennes, déformées ou endormies par des siècles d’un enseignement malveillant ?
Malgré sa brièveté, la déclaration Nostra ætate constitue un tournant, puisqu’elle encourage au dialogue, et donc à la connaissance mutuelle, et qu’elle ouvre les portes à tout un travail de réflexion.
Les débats conciliaires et les requêtes venues d’évêques de toutes les parties du monde avaient conduit à modifier le projet initial et à parler aussi des autres religions, en particulier de l’hindouisme, du bouddhisme et de l’islam. Mais alors que le concile parle des autres religions en présentant brièvement ce que pensent ou professent leurs adeptes, il ne dit rien de ce que croient les juifs, mais il exprime, à partir de la Bible et du Nouveau Testament, comment l’Église perçoit sa propre relation avec le peuple dont elle est née : « Scrutant le mystère de l’Église, le concile rappelle le lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testa-ment à la lignée d’Abraham ». C’est une affirmation sur l’Église et non une présentation du judaïsme, puisque le concile affirme que l’Église ne peut pas se comprendre elle-même sans rappeler d’où elle vient. Il n’y aurait pas d’Église si Dieu n’avait commencé par se choisir un peuple, puis de greffer sur ce tronc les branches venues du paganisme, pour reprendre la parabole de saint Paul dans l’Epitre aux Romains.
Celui qui s’est engagé avec le plus de vigueur et de constance pour faire passer cette idée dans l’enseignement de l’Église est le pape Jean-Paul II, qui n’a cessé de répéter tout au long de son pontificat que nous avons avec le judaïsme une relation que nous n’avons avec aucune autre religion. La récente déclaration de la commission romaine pour les relations avec le judaïsme est allée aussi loin que possible dans cette direction en affirmant que le dialogue entre l’Église et le peuple juif est moins un dialogue inter-religieux qu’un dialogue intra-familial.
La déclaration Nostra ætate marquera l’histoire de l’Église par ce qu’elle a permis, en transformant de manière irréversible la relation de l’Église au peuple dont elle est née, pour conduire l’Église à mieux comprendre le mystère de sa propre vocation.