Bonjour à toutes et tous,
C’est à la demande de la Communauté des Ursulines de Saint Dizier que la Mission Ouvrière de Haute Marne s’adresse à vous ce soir en cette messe d’action de grâce pour les 30 ans de leur présence ici. En effet, les religieuses en monde ouvrier sont partie intégrante de la Mission Ouvrière et y ont toute leur place car la Mission Ouvrière rassemble les mouvements des milieux populaires tels : pour les adultes, l’Action Catholique Ouvrière, la JOC pour les jeunes, l’ACE pour les enfants.
En 1979, elles arrivent dans ce quartier construit depuis peu à la périphérie de la ville pour accueillir les expropriés de la rue des Lachats et quelques grosses familles des cités de l’Abbé Pierre à La Noue et du Vert Bois. 116 maisons jumelées, un collectif de 30 appartements et un foyer d’accueil de personnes immigrées constituent le PSR, du nom du Programme Social de Relogement. – Social – c’est un bien grand mot, on en a surtout fait un quartier à l’écart, déshérité, oublié et délaissé ; et donc forcément difficile à vivre.
15 religieuses s’y relaieront jusqu’à ce jour. Ce sont donc Christine, Marie Luce, Denise-Marie, Espérance, Dominique, Odile, Thérèse, Marie Thérèse, Marie Thérèse encore, (je ne donne pas les noms, d’une part parce que je ne me rappelle pas de tous et puis pour ne pas froisser les susceptibilités de ces dames… non, c’est pas vrai, c’est pour les taquiner, nous ne sommes pas misogynes à la Mission Ouvrière)… Gisèle, puis Gisèle, Marie Jo, Marie Madeleine, Charlotte et Nathalie. Nous avons le bonheur d’en compter quelques-unes parmi nous aujourd’hui. Nous aurions bien aimé que Marie Luce soit aussi des nôtres, mais son état de santé n’autorise pas ce lointain déplacement et l’oblige à un combat qu’elle mène avec un courage exemplaire. Nul doute qu’elle est très proche de nous par le cœur ; nous aurons donc pour elle une affectueuse pensée et l’assurons de nos prières.
Cela fait maintenant 30 ans qu’elles sont là, insérées dans ce quartier populaire et leur mission qu’elle est-elle ? Eh bien cela tient en cette maxime : « Enracinées dans les réalités concrètes, elles veulent accueillir la vie du peuple avec lequel elles cheminent et coopérer avec lui pour qu’advienne un monde de justice et de fraternité ».
Et ce n’est pas du baratin, des grands mots. En effet, sans tapage, mais très profondément, elles seront, elles sont chaque jour, cette présence chrétienne, cette lumière d’espérance et de vie, ce signe d’une Eglise auprès des plus pauvres.
Maintes fois elles sauront apaiser dissensions et conflits ; briser l’incompréhension ou la solitude ; susciter l’espoir et la solidarité ; accompagner la peine ou le désarroi dans les épreuves.
Elles sont femmes et connaissent bien les discriminations dont les femmes sont l’objet, aussi elles se veulent attentives à faire reconnaître la dignité de la femme et sa juste place.
Leur porte est grande ouverte, c’est bien connu (même s’il arrive malheureusement que certains éprouvent le besoin de l’enfoncer quand même) et chacun dans ce quartier sait qu’il trouvera toujours une écoute, une aide, un conseil, un réconfort.
Leur attention, leur présence se concrétisent par un fort engagement à la maison de quartier, par l’accompagnement de familles en difficulté, la participation à l’atelier de tricot et pourquoi pas aux loisirs telle la belote. C’est aussi l’aide aux devoirs, la visite de personnes âgées.
Pour certaines aussi, ce sera l’engagement dans les mouvements, les unes en ACE, d’autres en ACO ou en ACGF, d’autres encore en Mission Ouvrière.
Leur action a débordé largement le quartier par le soutien aux malades avec l’association JALMALV, à l’hôpital ou maison de retraite ou avec l’aumônerie « Long et moyen séjour » ; avec aussi la participation à la vie de la paroisse, équipe liturgique, catéchèse, accompagnement d’adultes et d’enfants au baptême, c’est ainsi que Marie Luce par exemple deviendra marraine d’Evelyne et Didier.
Et bien entendu en maintenant un lien très fort avec la Congrégation et l’international.
Voilà, un peu survolé, ce qui a constitué la vie intense bien que discrète de nos religieuses, des journées bien remplies, ma foi.
Ça n’est pas facile tous les jours et elles trouvent dans la communauté des moments de partage, de réflexion, de formation, de détente et surtout de prière pour renforcer leur foi, leur engagement et leur disponibilité. D’ailleurs, les messes mensuelles assidûment suivies dans leur oratoire et la célébration de Noël qui remplissait Béthanie sont le témoignage de la ferveur et de la foi qu’elles ont suscitées et entretenues dans le quartier. Je dis « remplissait », car ce lieu de rencontre et de célébrations vient hélas de fermer.
Je voudrais partager avec vous 3 petits témoignages pour illustrer les difficultés rencontrées et aussi les gages d’espérance qui jalonnent la vie de nos sœurs parmi ces familles populaires.
Le premier se situe au moment où le journal local publie une série de photos aériennes de différents coins de la ville, et pour le PSR, le commentaire est le suivant : « aussi peu esthétique vu d’en haut que d’en bas ». Et Marie Thé qui est là à cette époque réagit avec la population qui se sent insultée : « Moi qui suis envoyée dans ce quartier, je me sens blessée autant qu’eux. Oui, nous avons été blessés parce qu’on ne nous traitait pas bien. » Avec quelques habitants, nous avons expliqué tous les efforts que nous faisons avec nos petits moyens pour entretenir notre quartier. Nous avons raconté les fleurs et tout le reste… Nous n’avons pas eu de réponse.
Le PSR a toujours été regardé de travers. Toute la ville se scandalisait de ce que nous vivions dans ce secteur. J’étais en colère, mais quelle idée se font-ils donc de la présence religieuse ? »
Thérèse s’exprime à propos de cette exclusion : « J’avais trouvé très triste ce quartier pendant les fêtes ; pas une boule ! Pas une guirlande ! L’association de quartier a écrit à la mairie et, un soir nous avons eu la surprise de voir pour Noël, une étoile. Tout un symbole. Cela nous a fait beaucoup de joie. J’en ai été très contente ! Enfin nous étions reconnus. C’est aussi Noël pour nous. Depuis que ce quartier existe, on ne lui a pas trouvé d’autre nom que PSR que par dérision, certains traduisent par « Passez Sans Regarder » illustrant ainsi l’attitude souvent méprisante des gens de la ville à leur égard. Au début, je réagissais mal, je me disais - C’est pas possible de vivre là – aujourd’hui je me dis : il faut vivre ici, alors, il faut choisir de faire corps avec ce quartier ».
Et maintenant, un petit conte de Noël. Pour la préparation de la fête, on a retenu comme thème : la Paix, la Paix si difficile à faire. Alors les enfants ont été d’accord pour écrire un mot d’amitié à une grand’mère qui les attrape tout le temps. Quand ils lui ont porté, elle s’est mise à pleurer et a dit que c’était son plus beau Noël. Elle qui dit toujours du mal des sœurs parce qu’elles acceptent chez elles la « racaille »(tiens ! repris hélas en plus haut lieu, parait-t-il), cette mamie, donc, leur a apporté de la salade pour dire sa reconnaissance… Formidable cadeau du cœur !
Des petits riens penseront certains, et cependant la vraie richesse du quotidien. Une découverte de l’Évangile au plus proche de la vie des habitants du quartier.
U n grand merci au Seigneur pour ces 30 ans de cheminement commun, d’accompagnement et de partage. Une véritable histoire d’amour entre les sœurs et les gens du PSR en particulier, et avec nous tous qui les avons connues et appréciées. Merci à elles aussi pour tout ce qu’elles ont apporté. Merci à la Congrégation pour nous les avoir envoyées et maintenues jusqu’à aujourd’hui. Merci enfin à tous ceux qui les ont accueillies et ont partagé leur vie au sein du quartier ou dans diverses circonstances.
Cette fête serait pleine de joie partagée si elle n’était assombrie par la douloureuse échéance qu’on ne peut passer sous silence.
Chacun mesure l’importance et les bienfaits de la présence de nos sœurs, mais l’adage : « toutes les bonnes choses ont une fin » va bientôt s’appliquer à cette présence.
Inutile de dire notre désarroi, il est dans la voix, dans les yeux, dans le cœur de chacun.
J’ai vu des larmes couler chez certains qu’elles ont accompagnés depuis leur enfance, leur jeunesse, leur baptême, leur ouverture à la JOC puis à l’ACO, leur mariage. Au travers de beaucoup de joies et aussi de douloureuses épreuves.
Des liens très forts se sont créés durant ces années. Chaque départ était un pincement au cœur, mais on se reverrait, d’autres prendraient le relais avec d’autres richesses à partager.
J’ai entendu « on se sent orphelins…que va-t-on devenir ? »
Bien conscients qu’une telle décision n’est pas prise à la légère ni sans raisons sérieuses et incontournables, nous devons constater que le départ de nos sœurs intervient au creux d’une période historique de récession dont les plus modestes, les plus fragiles, les plus laissés pour compte font gravement les frais. (Situation d’autant plus abominable que dans le même temps, un certain nombre de responsables de cette débâcle économique étalent sans vergogne leurs richesses, renforcent leurs privilèges ! Récoltant en salaires faramineux, parachutes dorés, retraites chapeau et dividendes exorbitants, les fruits du travail de ceux qui peinent à la tâche et qu’on jette de plus en plus à la rue.)
Comment redonner l’espérance à nos frères qui toujours plus nombreux touchent le fond, perdent emploi, repères, raisons de vivre et dignité ? Comment continuer à faire vivre l’Église en ce milieu populaire déjà si défavorisé ?
Il faut une sacrée dose de foi en la circonstance pour entendre Jésus nous dire : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit . » et qui dit orphelins…
Pourtant, nous n’avons pas le droit de baisser les bras. A l’exemple de nos sœurs qui ont connu des situations bien déprimantes et qui disaient : « Il faut vivre ici, alors, il faut choisir de faire corps avec ce quartier », il nous faut nous accrocher encore et encore.
Alors avec courage et confiance, continuons à œuvrer dans le champ du PSR. Le blé qu’ont semé jour après jour nos petites sœurs ne peut pas ne pas lever.
L’Évangile de Matthieu ne nous enseigne-t-il pas de nous abandonner à la Providence : « Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. »
Petites sœurs, vous allez nous manquer, vous connaîtrez d’autres vignes et d’autres champs pour continuer votre mission auprès des petits. Pour que l’orage passe, qu’il épargne enfin les plus déshérités et que la grêle économique ne mette pas trop à mal le travail de chacun, prions ensemble très fort le Seigneur, et en ce jour particulièrement, la Trinité, oui, à trois, on a sûrement plus de chance d’être entendus. Qu’il ne me soit pas tenu compte de cette respectueuse familiarité !
Bonne route donc et merci encore du plus profond de notre cœur.