Louis-Marie Baudouin, exilé… clandestin

« Confinement des populations » : des mots nouveaux apparus en 2020 pour désigner une série de restrictions qui ne sont pas sans ressemblances avec ce que Louis-Marie Baudouin a dû vivre en Espagne et dans la cachette des Sables d’Olonne. Sr Marie-Pierre Cecchi, Ursuline de Jésus, nous présente un récit éclairant et stimulant.

LOUIS MARIE BAUDOUIN….ET LE TEMPS DU CONFINEMENT

Bien sûr, question anachronique !! « Confinement des populations… » Un nouveau terme …. Aujourd’hui nous pouvons mettre un contenu derrière ce mot !

Chacun peut compléter cette petite liste :

  • restriction ou interdiction de déplacements
  • restriction des contacts humains, papier d’autorisation de sortie…
  • fermeture des frontières (certaines…)
  • population tenue de rester à domicile
  • rassemblements interdits….
  • renforcement de polices de contrôles…….
  • mais aussi : créativité, relations « surprises », découvertes,
  • solidarités…..nouvelle vie en Eglise…….

En son temps, Louis Marie Baudouin a vécu quelque chose de ces situations …… Même si, pour lui, le premier temps a été de « sortir », partir de chez lui, vers des terres moins dangereuses…. en EXIL ! Mais, avant d’arriver au lieu de son exil et encore sur place aussi, il a dû se plier à bien des décrets, des obligations qui ne sont pas sans ressemblances avec ce que nous avons vécu pendant plus de trois mois et ce que nous vivons encore !!

LOUIS MARIE BAUDOUIN….EXILÉ, IMMIGRÉ, ETRANGER, CLANDESTIN

Une question d’histoire politique et religieuse

  • 1790, Constitution Civile du Clergé : l’Assemblée nationale exige de tous les prêtres le serment de fidélité à cette constitution ; comme la plupart des prêtres LMB s’y refuse. Il lui reste deux solutions : rester en France et se cacher ou s’exiler et attendre un meilleur moment pour revenir poursuivre sa mission Nous savons qu’il aurait préféré rester au milieu de son peuple ; son frère le poussera à une autre sagesse.
  • 1791, Louis Marie Baudouin s’oppose aux prêtres qui ont adhéré à la Constitution Civile. Arrêté, emprisonné….Libéré, il exerce son ministère en secret.
  • 1792, un autre décret condamne à l’exil les prêtres non assermentés. En septembre, Louis Marie s’embarque, avec son frère P.Martin, aux Sables d’Olonne… Il n’a que 27 ans ! Il pouvait penser que cet exil forcé durerait quelques semaines, voire quelques mois…En fait il ne rentrera dans son pays que 5 ans plus tard.

L’Espagne accueille une foule d’immigrés

  • Louis Marie n’est que l’un des 6000 à 7000 prêtres qui passent la frontière des Pyrénées ou débarquent sur la côte Basque. Les nouveaux arrivés devaient se plier à nombre de contrôles, posséder des documents en règle : un sauf-conduit pour traverser les différentes régions, sur un parcours qui leur était indiqué : au total, à pied ou comme ils pouvaient, ils avaient 300km à faire !
  • Un permis leur est délivré par l’Evêque de Pamplona, pour pouvoir célébrer la messe jusqu’au lieu de leur destination ; là, ils devront refaire valider le document.…. Le peuple, avec son sens de l’hospitalité, accueille avec compassion ces prêtres et religieux. Cependant, peu à peu et assez vite, le flot des immigrés provoque méfiance et inquiétude ; c’est à ce moment que sont arrivés Louis Marie et ses compagnons…

La route des exilés, des immigrés en terre étrangère

  • Pamplona est trop près de la Frontière, ils ne peuvent y séjourner, ils doivent repartir vers Saragosse, leur lieu de destination (oct.92). Là, ils trouvent plus de 700 prêtres, religieux, religieuses. Ils pourront rester trois mois mais sans possibilité d’exercer aucune activité ; un seul avait une autorisation de confesseur pour les ecclésiastiques français et c’était Pierre Martin Baudouin, le frère de Louis Marie. Vite, l’Evêque ne peut plus donner d’autorisation de séjour que pour 4 jours avant de chercher à partir vers un autre évêché….
  • Madrid leur est interdite et les capitales de régions. A Noël, tous ceux qui ne sont pas logés dans les couvents sont expulsés.
  • Louis-Marie doit quitter Saragosse, il se dirige avec son petit groupe vers Valence… C’est à Valence qu’ils reçoivent les désastreuses nouvelles de France : Louis XVI a été guillotiné ; ce qui va provoquer de l’hostilité à l’égard des français. Le gouvernement ne les tolère plus sur les côtes ; ils sont obligés de se soumettre. Le groupe de Luçon reçoit l’ordre de se diriger au couvent des dominicains de Agullent à la limite de Alicante et Valence. Ce court séjour est douloureux ; ils doivent se déplacer à nouveau à quelques kilomètres, à Agres.
  • Agrès est l’une des étapes les plus heureuses dans leur difficile exode… accueil, paix, prière…Pour trois mois ! Mais la situation politique s’aggrave à nouveau il faut partir ! L.M.B s’en va, avec son frère déjà très fatigué, avec Mr Paillou, Mr Lebedesque et quelques autres…Ils demandent asile à l’Evêque d’Astorga, qui leur offre un appui inconditionnel. Ils doivent partir plus loin et traverser toute la Castille !
  • Avril 1793 ils se mettent à nouveau en route. Pierre Martin Baudouin est de plus en plus fatigué, il ne peut continuer, les deux frères Baudouin s’arrêtent à Madrid puis se dirigent vers Toledo où les accueille le Cardinal Lorenzana. Leurs compagnons d’exil continuent jusqu’à Astorga.
  • Tolède : quatre longues années dans un climat très difficile, au début, à cause de la guerre avec la France. Cependant protégés par le Cardinal Lorenzana, ils donnaient de longues heures à l’étude de l’Ecriture, des Pères de l’Eglise, des mystiques espagnols….. 1796 : Pierre Martin meurt en terre étrangère….il est enterré à Tolède, selon le rite latin.

Conditions de vie difficile :

  • Ils ont vécu dans l’insécurité : Sur les chemins, les bandits sont prêts à tout. Deux fois au moins, Louis Marie a eu affaire à eux. Ils traversent des terres inconnues, sans comprendre la langue espagnole ni des coutumes différentes Ils ne savent pas où et pour combien de temps ils vont être accueillis pour se reposer, manger, dormir…c’est l’inconnu, l’insécurité…..
  • Dans la fatigue, l’épuisement des marches, sans nourriture suffisante, Sans abri contre les intempéries = l’hiver au nord et au centre de l’Espagne est rigoureux Mal protégés des vents glacés de l’Aragon, en plein hiver. Dans la maladie même : Pierre Martin ne supportera pas cet exil forcé et trouvera donc la mort à Tolède en septembre 1796.
  • Dans la méfiance des autorités et des Evêques qui accordent peu de pouvoirs de ministères aux prêtres. Leur peur des idées philosophiques est tenace : d’où l’interdiction de parler publiquement, de prêcher aux messes.
  • Dans la séparation de la famille, des amis, des prêtres ou Evêques restés cachés en France ou exilés ou réfugiés dans d’autres pays…Sans beaucoup de nouvelles de ce qui se passait en France = on venait de guillotiner Louis XVI ; ils l’apprennent en arrivant à Valence.
  • Dans les tensions des relations politiques entre les deux pays, France / Espagne ….Ils sont alors sous le coup d’une expulsion arbitraire, à Valence comme à Saragosse…..
  • Sans travail puis dans le travail manuel pour survivre, à Tolède. Louis Marie, en plus des honoraires de quelques messes, apprend le métier de celui qui le loge : c’était un artisan en soierie. ! Tout travail était bon à prendre… Peut-être peu doué pour les langues, Louis Marie cherche à apprendre mais parle l’espagnol de façon très imparfaite…Il se fait comprendre pourtant…Il est ami des enfants.
  • Soumis à des contrôles réguliers et stricts de 93 à 95, Surveillés, à Tolède, ils ne pouvaient se promener en groupe ; seulement quatre, au maximum Ils ne pouvaient dépasser les limites des murailles de la ville.
  • Mais ces prêtres étrangers, vivent entre eux une certaine solidarité, entraide, dans les moments durs. Louis Marie se rapproche d’un prêtre qui avait été vicaire à Luçon, Mr Lebédesque ; il établira une vraie relation d’amitié qui lui sera soutien, en particulier lors de la mort de son frère : ce dernier représentait tellement pour lui ! Une amitié naît entre exilés qui mettaient à profit des moments de liberté : promenades, lectures, prière, partages, contemplation de la nature…

POUR LE CHRETIEN ET POUR LE PRETRE, UN ENRICHISSEMENT HUMAIN, ECCLESIAL

Le temps d’exil a été mis à profit pour

  • la lecture, l’approfondissement de la Bible, avec la richesse de la bibliothèque de l’Evêque de Tolède.
  • L’approfondissement de la vie et des écrits de celle que l’on appelle en Espagne « La Santa ». C’est, pour Louis Marie, la sainte qu’il nomme le plus souvent, présentée comme modèle de sainteté… « Notre Mère Sainte Thérèse… »
  • La connaissance des autres grands mystiques espagnols.

Louis Marie Baudouin a pu vivre :

  • La richesse de la liturgie avec une sensibilité autre de ce côté des Pyrénées
  • Avec la place de Marie dans la piété populaire espagnole.Il découvre la vénération des Espagnols pour Marie dans son immaculée conception L’Importance des processions et dévotion aux mystères douloureux de Marie et du Christ, lors des processions de Semaine Sainte ; dévotion exprimée de façon sensible par les « pénitents » des différentes confréries
  • La contemplation du « Nazareno », le Christ souffrant nazaréen - peut-être impulsion pour ses disciples à entrer dans ce mystère, dans un esprit Nazaréen.
  • L’expérience de la souffrance du peuple espagnol, des exilés : prière, solidarité…et ainsi impulsion pour vivre de cet Esprit dans les souffrances du peuple de France, après la Révolution.
  • Ou encore l’amour du peuple tolédan pour Jésus-Eucharistie manifesté dans la Procession du Saint Sacrement à travers toute la ville…
  • L’expérience de que c’était que de vivre du travail de ses mains, pauvrement…au milieu des gens très simples……

Exil fructueux pour Louis-Marie

  • Il a su accueillir les richesses d’une culture autre au bénéfice de sa propre vie et de la vie de beaucoup en revenant dans son diocèse… dans son pays…
  • Au retour, il vivra cela dans les villages ou campagnes, dans ses relations et même avec les « grands » que sa mission lui fera côtoyer….

Le Père M.Maupilier écrit (P.50) « Pendant cette période, le Père Baudouin…engrangeait pour la vie….Ces presque cinq années, ont formé le futur Fondateur, le futur Supérieur de Séminaires, le futur père et maître spirituel, plus que les années de son Grand Séminaire…Nous datons aussi de ces années la naissance, en Louis Marie Baudouin, de ses vastes vues apostoliques et des projets concrets à réaliser pour convertir le peuple de France à Jésus Christ. L‘Esprit de Dieu fait feu de tout bois pour ébranler l’univers ou renouveler son Eglise ! »

Enfin, Louis Marie Baudouin va rentrer, avec son ami Germain Lebédesque, dans son Pays : ils partent dans des circonstances de persécution religieuse moins forte ; mais …. ils arrivent la nuit du 14/15 août

AUX SABLES D’OLONNE POUR…UNE VIE DE CLANDESTIN !

Un mois après son départ, à l’arrivée :

  • à nouveau, une loi contre les émigrés, l’obligation de choix d’une vie de clandestin, d’une vie où il faut, à nouveau se cacher surtout dès qu’une descente de police est annoncée…. Angoisse de l’inconnu….
  • Dans ce contexte de persécutions : Louis-Marie Baudouin exerce un ministère clandestin, il faut déjouer aussi les poursuites policières, Il mène une vie cachée dans une maison discrète dont l’accès à une cave est dissimulé. Mais il connaît aussi le soutien des amis, la solidarité des voisins…

Comment comprendre cette nouvelle vie de clandestin ? Alors qu’ils pensaient arriver enfin en France, pour reprendre un ministère « à l’air libre », pour penser à une organisation plus concrète de l’avenir,

Dans quel esprit vivre ce temps d’attente forcée ?

  • Tous les prêtres sont partis,
  • les églises, elles, sont devenues des entrepôts,
  • les religieuses sont dispersées, la police est prête à intervenir contre les émigrés et les prêtres réfractaires.

Louis-Marie Baudouin, interpelé par tout ce qui se passe dans ces années, se questionne donc :

  • Où est Dieu dans ces évènements ?
  • Que dit Dieu à travers tout cela ? Où se cache t-il ?
  • Dans quel esprit vivre ces évènements ?
  • Quel sens donner à ce temps de vie cachée ?

Dans le silence de sa « cache », Louis-Marie Baudouin ne se décourage pas, sa foi est fortifiée, il vit dans la prière, la méditation de la Parole, la contemplation,

C’est un temps de

  • Prière intense : la Parole de Dieu méditée, contemplation du Mystère du Verbe incarné ; adoration, présence de l’Eucharistie, prière et union à Marie,…..
  • Accompagnement spirituel de femmes, anciennes religieuses ou non
  • Partage de la Parole de Dieu avec des laïc(que)s ,
  • Vie risquée la nuit, pour répondre aux malades …

Louis-Marie Baudouin vit là UNE EXPERIENCE MYSTIQUE profonde que rapporte sobrement son ami Mr Fleurisson : « Que de douceurs, de joies célestes il a goûté ….c’est dans ces communications …qu’il a été inspiré de former ces grandes entreprises qui ont amené comme une renaissance de la religion dans ces contrées… »

Temps d’intériorisation et de lumière vive sur la réalité, les besoins d’urgence vitale des gens autour d’eux, après ces années de Révolution.

Toute sa vie, sa mission, s’enracinent là…. Il découvre, là, que c’est l’engagement dans une vie religieuse qui peut le mieux permettre de « relever les murs de l’Eglise », reconstruire un tissu de vie familiale, sociale….et les femmes pourraient beaucoup dans cette grande œuvre !… et beaucoup de laïc(que)s vont s’engager aussi dans cette démarche, se consacrant à Marie…

Avant 1799, Louis Marie Baudouin a la GRÂCE d’une INTUITION « ORIGINALE » (M.M. P.66) du mystère de l’Incarnation de Jésus Christ : pour la gloire de son Père et le salut de tous, ses frères et soeurs… LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ! IL A HABITÉ PARMI NOUS … =⇒ Un projet de vie ? UN PROJET DE VIE MARQUÉ PAR LES CIRCONSTANCES !
Marie Pierre CECCHI (Ursuline de Jésus)
Chavagnes, 3 Octobre 2020,
Extraits, texte repris pour le groupe Grain de Moutarde
à partir d’une présentation au Pôle Immigration en 2010
et à la session de juillet 2017.


Lors du premier confinement, Antoine Brethomé, FMI, nous a fait part de sa réflexion en faisant mémoire de ce qu’a vécu le P.Baudouin. Pour trouver son son article en pièce jointe, cliquez sur le lien Restez-a-la-maison

Les images de cet article ont été empruntées au diaporama joint à l’article La vie mouvementée d’un fondateur

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