Le P. Baudouin n’a pas parlé directement de « lectio divina » ou de « lecture sainte », mais son amour de la Bible et les conseils qu’il a donnés pour la lire vont tout à fait dans le sens d’une lecture qui nous met en relation avec Dieu et nous fait goûter sa Parole. Il était en cela bien en avance sur les pratiques de son temps concernant la lecture de la Bible et les conseils qu’il donne sont parfaitement en accord avec cette « lectio divina » que le concile Vatican II recommande vivement aux chrétiens aujourd’hui.
Avant tout, pour le P. Baudouin :
- Jésus Christ « l’objet et la clef des Ecritures ».
On ne se lasse pas avec vous, mes filles, parce que vous aimez la Sainte Ecriture et que c’est aujourd’hui Sainte Paule, qui en faisait ses délices ! Concluons que mes filles ne désireront dans la lecture de nos livres sacrés que de connaître et d’aimer celui qui seul en est l’objet et la clef, cet agneau sans tache qui a vaincu Dieu même, et qui seul ouvre et ferme ! (20 janv 1927)
Surtout, dans ce livre, vierge Eustoquie, on trouve Jésus et Marie, c’est le secret. (à Sr Ste Agnès, 1813)
- L’Esprit Saint est le maître :
Tout est figure, tout est symbole dans les Saintes Ecritures. Les Saints Pères, d’après les Saints Apôtres, l’ont vu clairement et avec certitude.
L’Esprit Saint cache les mystères sous l’écorce des paraboles et des comparaisons ; l’intelligent qui respecte les choses divines et qui ne désire que Jésus, sera le seul à comprendre. « Bienheureux les cœurs purs » parce que Jésus leur découvrira ses secrets. (Commentaire 8 du Cantique)
Le chemin d’une lecture priante
1 – LA LECTURE ET L’OBSERVATION DU TEXTE
Le P. Baudouin invite à lire pour connaître d’abord la « lettre », même si on ne comprend pas tout :
Avant de les comprendre, il faut en savoir la lettre. (à Sr Ste Agnès)
Le style en est simple et à la portée de tous. Si une phrase est un peu obscure, il en est cent qui sont claires. On ne mourra pas de soif auprès d’une fontaine qu’on ne peut toute boire ? La morale est en action comme en préceptes ; tous les goûts peuvent ici se rassasier : l’histoire, la poésie, la morale, le merveilleux, la philosophie, l’antiquité, la belle et simple éloquence, tout est ici sans fausseté. (à Sr Ste Agnès, 1813)
- dans un premier temps :
II est bon, chère Eustoquie, de lire beaucoup au commencement, par exemple tout un livre dans une matinée ou un jour, comme la Genèse, ou toute une épître de Saint Paul à la fois. Quand il est bien dans notre mémoire, oh ! Combien nous nous promenons en pensée dans .une ville dont nous connaissons les rues, et comme les Saintes Ecri¬tures s’expliquent par les Saintes Ecritures ! Avant de les comprendre, il faut en savoir la lettre. (à Sr Ste Agnès)
- Ensuite :
Lisez peu, mais bien. Retenez surtout l’instruction de la conduite ou pratique ; croyez-la et la pratiquez. On lit trop superficiellement, c’est pourquoi on n’est jamais savant. Celui qui lit bien un livre, comme un Évangéliste, un des livres sapientiaux, comme l’Ecclésiastique, qui le sait et le pratique, est semblable à un homme qui a un bon ou deux bons champs qu’il cultive avec soin et ensemence de bons grains ; il moissonnera au centuple et sera riche. (aux novices nov. 1815)
2 – LA MEDITATION ET LA REFLEXION SUR LE TEXTE
Le P. Baudouin invite à « broyer » - « mâcher » – « goûter » - « savourer »…
On s’arrête sur cette doctrine, on l’approfondit… Ruminons l’autre verset… ( let. Nov 1815)
Que l’Epoux vous fasse comprendre ces choses, mais il est plus, doux de les goûter. (à Mère Saint-Benoît 13 mars 1819)
Avalez un grain de moutarde sans le broyer sous vos dents, vous n’y trouverez aucun goût. Ce sont ceux qui croient en gros, légèrement, sans réfléchir. Mais si vous broyez bien ce grain de moutarde, et le mâchez bien, alors il pique le palais. Il a du goût et beaucoup : tels sont ceux qui réflé¬chissent et méditent la parole de celui qui a semé le grain de moutarde. Les connaissances que les hommes, les savants même, avaient de la divinité avant la foi, étaient fades, incertaines, par la foi, elles sont devenues savoureuses, certaines, agréables. Les bonnes actions qui se font sans la foi sont sans goût, fatigantes. Broyez un grain de foi, alors vous le faites avec activité, avec goût et joie. Par exemple : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé. » Pratiquer cela avec la foi en gros, c’est fati¬gant et difficile. Mais broyez le grain, goûtez ce que c’est que de n’être point jugé et condamné après votre mort. Quel plaisir de n’avoir rien à craindre du jugement de Dieu. Goûtez bien cela et vous verrez. Le jeune homme de l’Evangile s’en alla triste, parce qu’il ne voulut pas broyer cette parole : « Vous aurez un trésor dans le Ciel. » Un trésor dans le Ciel ! S’il eût voulu bien moudre sous ses dents cette parole !… (à Mère Saint-Benoît 23 juin 1827)
« J’ai bien déjeuné ce matin à une table de trente et un mets. Elle n’est pas si nombreuse que l’Ecclésiastique, dont je suis sorti après avoir goûté tous les plats. Mais ils sont restés entiers également ; c’est un plaisir. Une autre année, ils seront tout neufs. Les Proverbes sont un excellent festin aussi. Mais, ma chère Mère, il serait peut-être ennuyeux de vous envoyer une dragée, comme on fait dans les repas, où l’on prend quelques bonbons pour les enfants. Si pourtant vous voulez en goûter, goûtez cette dragée du troisième plat, elle est au numéro trois :
"Que la miséricorde et la vérité ne vous abandonnent pas, mettez-les comme un collier autour de votre cou, et gravez-les sur les tables de votre cœur."
Eh bien ! bonne Mère, goûtez cela ! en sentez-vous la saveur exquise ?… Le rayon de miel ne vaut pas cela. Le rapport qui en revient à la bouche est agréable à Dieu et aux hommes . (à Mère Saint-Benoît 4 juin 1824)
3 – LA PRIERE DE CONTEMPLATION
Le P. Baudouin invite à l’admiration qui naît de la surprise, de l’étonnement devant le mystère révélé dans la Parole.
« Il sera appelé l’Admirable » Isaïe 9,6
…Qu’est-ce qu’admirer ? C’est considérer un objet avec surprise et étonnement, pour sa grande beauté, ses perfections étonnantes qu’on n’a pas vues ailleurs. L’admiration est complète lorsqu’elle ôte à l’âme tout souvenir étranger, qu’elle remplit son intelligence avec comble et qu’elle ravit son cœur ou son amour.
Nous admirons des créatures parce que nous n’avons pas vu, ni considéré, ni goûté l’admirable. Lui seul est nommé l’admirable. Ce nom ne peut appartenir à un autre. (Let. 21 mars 1825)
4 – PRATIQUE, PRATIQUE …
C’est une grande insistance du P. Baudouin. La lecture de la Bible doit se faire « pratique ». La Parole doit porter du fruit. Le P. Baudouin est réaliste. Il aime se promener dans le jardin des Ecritures, en cueillir les fruits et les savourer. Mais c’est pour que la vie soit rendue plus savoureuse pour nous-mêmes et pour les autres, pour que la Parole remplisse sa mission et qu’elle féconde notre terre et soit vraiment Parole de vie.
Ecoutez bien attentivement les lectures et pratiquez-les. Lisez peu, mais faites ce que vous lirez. (à la Congr.29 déc 1829)
Celui qui lit sans pratique est le semeur sur le grand chemin, Celui qui pratique tout ce qu’il lit est le sage qui sème dans une terre excellente et bénite. II ne craindra ni l’hiver, ni la stérilité de la vieillesse. Nous lisons, mes chères filles, et nous ne pratiquons pas. Il est écrit : « Bienheureux celui qui lit, comprend et pratique. » Autrement la lecture est plus nuisible qu’utile. (fév 1830)