Avant de tenter de maîtriser la méthode que le P Baudouin lui-même ne s’est pas préoccupé d’exposer, il me semble qu’on doit se tenir fermement à deux faits.
D’abord, il est sûr que le P. Baudouin lisait beaucoup la Bible : on ne manque pas de témoignages contemporains qui l’affirment.
Ensuite, on doit dire que cela se remarquait dans sa conversation et ses écrits. Là non plus, les témoignages ne manquent pas.
Mais tandis que sa conversation est définitivement perdue pour nous, en revanche, ses écrits sont encore disponibles, et peuvent nous donner des indications sur le plaisir qu’il avait à « parler biblique » sans probablement l’avoir cherché ! Encore que…
Quoi qu’il en soit, méthode Baudouin ou non, le point de départ est forcément la lecture personnelle et assidue de la Sainte Ecriture. Pour le reste…
Mais je voudrais, dans ce papier, fournir un exemple de ce style biblique de Louis-Marie Baudouin. Il s’agit de la lettre du 12 janvier 1811, adressée à Sr St-Emmanuel, supérieure de la communauté de Soullans. La lettre comporte quatre paragraphes avant les salutations. Dans un premier temps, je n’en transcrirai que les trois premiers, que voici
« Vous voyez bien, ma chère fille, que je ne vous oublie pas dans mon silence. La manne tombera dans votre camp. C’est une faveur ineffable. Vous serez, mes filles, dans le champ de Booz. Vous ne glanerez pas seulement, vous prendrez à la gerbe. Le pressoir du vin qui germe les Vierges se foulera dans votre demeure. L’arche terrible va avec paix se fixer, non chez Obédédom, mais chez mes filles. Je me glorifie de vous avoir obtenu ce bien, ces richesses qui vous fortifieront dans votre pauvreté. Je suis en paix. Le Lion de Juda est couché au milieu des pâturages de mes faibles et tendres brebis. Il les gardera et fera sa proie de leurs ennemis. Le Tyran cruel de l’enfer rugit ! Il veut, mais ne peut approcher ! L’asile est inviolable ! L Ange du Seigneur gardera te vestibule avec une Épée de feu. Anges Eucharistiques, vous serez les compagnons et les frères de mes vierges. Vous habiterez avec elles, vous accompagnerez leurs chants de vos lyres angéliques ! Leurs corps passibles et mortels se reposeront la nuit ; mais vous veillerez pour rendre hommage à leur Époux. Vous les éveillerez le matin, et elles auront de l’huile dans leurs lampes ! O Vierges trop heureuses, le Roi vous introduit dans son cellier ! Là, avec la coupe, vous vous enivrerez d’un vin généreux ! Douce et belle ivresse qui illumine la raison obscurcie ! Ivresse merveilleuse qui affermis les pieds chancelants ! O ivresse ! Tu donnes la force aux cœurs pusillanimes ! Va, faible vierge, va, tu trouveras la douceur dans la gueule du fort ! O brebis, si le loup te tente et te poursuit, cours et couche-toi sur l’escabeau des pieds du fort ! Viens petit enfant affamé, jette-toi à cette mamelle abondante et délicieuse !
Oui, comme David, je saute et danse de toutes mes forces. O Dalila, tu as vaincu ! Samson, par amour pour toi, t’a rendue maîtresse de sa.force ! O Emmanuel ! mérita- je cette faveur ! moi ! Rabboni ! Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu ! Dépêche-toi, ô Zachée, j’ai vu les désirs de ton cœur, je vais demeurer chez toi. Je suis fou, mes bien-aimées, de votre joie. N’en soyez pas surprises. Noé planta une vigne et s’enivra. Sacrificateur de Soullans, immole promptement la victime. Les vierges attendent avec une faim dévorante, et veulent se réjouir au festin de l’agneau sans tache ! Pasteur et prêtre du Très-Haut, ton nom sera en bénédiction dans cette tribu. Tu y as le premier par ta parole, ouvert la nuée de la rosée féconde ! et les terres sont fertilisées. Tu paies au centuple les Bergères qui ont conduit et gardé tes faibles agneaux ! » |
Il est évident que les citations, allusions et réminiscences bibliques se bousculent à la pointe de la plume du P. Baudouin. Pour rester dans le ton, on en vient à citer le Ps 45 (44) « Comme viennent les mots sur la plume du scribe, sur ma langue ils se pressent ! » (Trad Deiss/Leclerc).On n’a pas l’impression qu’il cherche ses mots ! Ça lui vient, comme ça… « Je suis fou, (dit-il) mes bien-aimées, de votre joie. N’en soyez pas surprises. Noé planta une vigne et s’enivra ».
JJe ne suis pas sûr d’avoir tout perçu ; mais de quoi est-il question dans cette lettre ? On entrevoit vite l’Eucharistie ; on si dit que tout doit être bibliquement codé, comme la douceur dans la gueule du fort. Le P. Baudouin n’hésite pas à mettre au premier plan cette rouée de Dalila qui ne me paraît pas spécialement sympathique ?
Voici maintenant le dernier paragraphe :
« Sortons de ce brasier, mes filles aimées, et parlons en homme. J’écris à Luçon pour avoir une pierre d’autel. On la portera chez Melle Gobert aux Sables, que mon Emmanuel lui écrive de la lui faire passer de suite. Je voudrais de tout mon cœur vous donner un Saint Ciboire, mais je n’en ai point et mon argent, ou celui que la Providence me prête, est déjà employé à former des consécrateurs et des ciboires vivants. Je me réjouis seulement de fournir la pierre angulaire. J’ai mis les permissions et les grâces entre les mains du pasteur à qui j’écris. » |
La Sr Saint-Emmanuel fut sans doute moins surprise que moi, mais il est clair que le P. Baudouin sait qu’il doit dire les choses autrement : « parlons en homme ».C’est à dire :
On attend à Soullans, d’avoir un oratoire dans la maison, mais il manque la pierre d’autel, qui ne tardera pas à arriver à la communauté. Ainsi, le Sacrificateur-curé de Soullans pourra célébrer chez les Soeurs, et celles-ci pourront jouir de la Présence réelle du lion de Juda. Mais ce qui passe en premier lieu dans la lettre, c’est la joie que cet événement va provoquer. Seule, la Bible peut fournir les mots pour la dire, et après coup, on sent que toutes ces allusions tombent bien en place. Assez exceptionnellement, le P. Baudouin ajoute après avoir signé, « Supérieur général ».
Testons nos connaissances : combien y a-t-il de citations , renvois ou réminiscences ?