Le Canada a officiellement vu le jour en tant que pays en 1867. En tant qu’affirmation de soi de l’État naissant, la mentalité des colons a cherché à s’imposer aussi fortement que possible dans le vaste pays. Une fois que le commerce des fourrures a décliné, les autochtones ne sont plus utiles et l’on cherche à les assimiler au système agricole occidental. Dans le but d’effacer toute identité culturelle, des pensionnats ont été créés, des internats où les enfants autochtones devaient suivre des cours obligatoires, pour lesquels ils étaient arrachés à leur famille et souvent déplacés à des milliers de kilomètres. L’Église catholique en dirigeait 60 %.
Ces écoles ont fonctionné pendant 125 ans, la dernière ayant fermé en 1996. Au total, quelque 150 000 enfants y sont passés, et plus de 3 200 enfants sont morts pendant leur séjour. Exposés à des maladies européennes contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés, à un système alimentaire différent et pauvre, forcés de travailler, isolés de tout soutien familial, le niveau de vulnérabilité auquel les enfants étaient exposés était le terreau parfait pour de multiples abus, y compris sexuels.
La Commission Vérité et Réconciliation a publié son rapport en 2015, après 6 ans de travail et après avoir entendu 7000 victimes. Les témoignages concernant les pensionnats sont choquants. Il parle sans équivoque de génocide culturel. Le rapport se termine par 94 appels à l’action, adressés à tous les segments de la société canadienne. Le numéro 58 indique explicitement : "Nous demandons au pape de présenter des excuses aux survivants, à leurs familles et à leurs communautés pour le rôle de l’Église catholique romaine dans les abus spirituels, culturels, émotionnels, physiques et sexuels dont ont été victimes les enfants Inuits, Métis et des Premières Nations dans les pensionnats catholiques.”
C’est principalement pour répondre à cette demande que le pape François s’est rendu au Canada du 24 au 29 juillet 2022.
Le pape a commencé sa visite au Canada à Maskwacis en évoquant le cri de douleur, la clameur étouffée qui l’a accompagné durant ces mois depuis la visite de la délégation autochtone à Rome en mars dernier. Il a exprimé sa gratitude "pour l’avoir fait entrer dans mon cœur, pour avoir exprimé le poids que tu portes en toi, pour avoir partagé avec moi ce souvenir saignant”.
La grande appréciation du pape François pour la culture autochtone a été exprimée à plusieurs reprises tout au long de ces journées. Après avoir exprimé sa joie de se trouver sur cette terre où les autochtones sont présents depuis des temps immémoriaux, il a apprécié le fait qu’"ils vivaient avec des modes de vie qui respectaient la terre elle-même, héritée des générations passées et protégée pour les générations futures. Ils la traitaient comme un don du Créateur à partager avec les autres et à aimer en harmonie avec tout ce qui existe, dans une interconnexion vivante entre tous les êtres vivants… Tant de bonnes traditions et d’enseignements basés sur l’attention aux autres et l’amour de la vérité, sur le courage et le respect, sur l’humilité, l’honnêteté et la sagesse de la vie !” (Maskwacis)
Le Pape a décrit son voyage comme étant pénitentiel, et c’était certainement son attitude. Sa disposition humble et réconciliatrice est reconnue par tous. Le sentiment de douleur et de honte, et l’humble demande de pardon ont été exprimés sans équivoque à plusieurs reprises. Dans la cathédrale Notre-Dame de Québec, lors des vêpres avec les religieux, le Pape a également demandé le pardon pour les abus sexuels : "Je pense en particulier aux abus sexuels commis sur des mineurs et des personnes vulnérables, des crimes qui exigent une action forte et une lutte irréversible. Je voudrais, avec vous, demander une fois de plus le pardon de toutes les victimes. La douleur et la honte que nous éprouvons doivent être l’occasion d’une conversion, plus jamais ça !” Mais comme l’a dit François à Maskwacis, ces excuses "ne sont que le premier pas, le point de départ… Je suis conscient que "en regardant le passé, il ne sera jamais suffisant de demander pardon et de chercher à réparer les dommages causés" et que "en regardant l’avenir, il ne sera jamais suffisant de générer une culture capable d’empêcher ces situations non seulement de se répéter, mais aussi de trouver un espace". Il a poursuivi en réaffirmant la nécessité de continuer à prendre des mesures : "Une partie importante de ce processus consiste à rechercher sérieusement la vérité sur le passé et à aider les survivants des pensionnats à mener à bien des processus de guérison des traumatismes qu’ils ont subis."
Même avec des mots aussi clairs, il est compréhensible que les attentes légitimes n’aient pas été satisfaites. Le rejet de la Doctrine de la Découverte n’a pas été exprimé de manière satisfaisante.
Cette doctrine trouve son fondement dans les bulles papales émises en 1455 et 1493 par les papes Nicolas V (« Romanus Pontifex ») et Alexandre VI (« Inter Caetera »), qui donnaient leur bénédiction à l’appropriation de terres qu’ils déclaraient « terra nullis » (sans personne). En 1820, le juge de la Cour suprême américain John Marsahll a cité la Doctrine de la Découverte pour justifier la souveraineté américaine. Ainsi, la Doctrine a été consacrée en droit positif au 19e siècle, sur la base des bulles papales du 15e siècle. Selon l’Instance permanente des Nations Unies sur les Questions Autochtones, les bulles papales sont toujours en vigueur.
Le Vatican est apparemment toujours en train d’étudier la complexité de la question, et prévoit de publier une déclaration sur le sujet lorsqu’il sera prêt.
Le pape a déclaré à Maskwacis que le comportement de l’Église "était une erreur dévastatrice, incompatible avec l’Évangile de Jésus-Christ… Face à ce mal scandaleux, l’Église s’agenouille devant Dieu et implore son pardon pour les péchés de ses enfants". Et à la cathédrale Notre-Dame de Québec, il a insisté pour que "la communauté chrétienne ne se laisse plus jamais contaminer par l’idée qu’il existe une culture supérieure aux autres et qu’il est légitime d’utiliser des moyens de coercition contre les autres”.
Si une demande de pardon exige la reconnaissance d’un acte répréhensible, la tristesse pour ce qui s’est passé, un engagement à ne plus jamais recommencer et une action pour remédier à ce qui s’est passé, d’une manière ou d’une autre, le pape François a pris toutes ces mesures.
Le chef autochtone Wilton Littlechild s’est fait l’écho des sentiments de beaucoup lorsqu’il a déclaré que "la visite du pape a été une bénédiction, ses paroles ont été des paroles de guérison.”
Phillip Fontaine, le premier autochtone à avoir parlé publiquement, en octobre 1990, des abus subis dans un pensionnat, et qui a ensuite rempli trois mandats consécutifs en tant que chef national de l’Assemblée des Premières Nations, a déclaré, lors de la visite du pape au stade du Commonwealth, juste avant le début de la messe, que la réconciliation est un cheminement collectif ; qu’il ne faut jamais oublier, mais pardonner. Il a exprimé sa gratitude au Saint-Père, « un homme humble qui a demandé le pardon avec des mots significatifs ». Il a conclu que les peuples indigènes ont invité l’Église catholique à marcher avec eux pour construire un monde meilleur, pour réparer les relations entre leurs communautés et l’Église. Et il a exprimé sa conviction que « ce moment nous donnera la force de marcher ensemble ».
Le pape a fait référence aux longues distances du Canada (c’est le deuxième plus grand pays du monde), et à la similitude avec le long chemin de réconciliation que nous devons parcourir ensemble. Sa venue au Canada a été un geste de dimension historique, il a fait un voyage avec les peuples autochtones sur leur terre, même s’il est en fauteuil roulant.
Il est temps de poursuivre le processus de réconciliation par des actions concrètes, et nous sommes tous invités à les entreprendre à tous les niveaux de notre vie.
Lors de son dernier passage au Canada, au Québec, le Pape a déclaré que « pendant ma visite, ce sont vos réalités, les réalités autochtones de cette terre, qui ont visité mon âme ; elles sont entrées en moi et m’accompagneront toujours ». Sans aucun doute, il reste aussi dans nos cœurs.
Communauté St. Kateri, UJ Edmonton, juillet 2022